Alors que l’on associe communément la désertification à l’Afrique et à l’Asie, elle n’est pas l’apanage de ces dernières. L’agriculture intensive et la crise climatique sont à l’origine de la dégradation sévère des sols et de la désertification en Europe. Ces phénomènes n’affectent pas seulement l’Europe du Sud, mais aussi les pays aux climats tempérés et humides comme la Hongrie et la Bulgarie.
La désertification touche principalement les régions marquées par des pénuries d’eau persistantes. Qualifiées communément de zones arides, ces régions couvrent plus de 40 % de la surface terrestre du globe. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) , en 2015, 24 à 29 % des terres du globe étaient menacées de désertification, impactant ainsi environ 500 millions de personnes. Cette menace s’est accrue au cours des dernières décennies, du fait notamment de l’évolution climatique et des activités humaines. À l’échelle mondiale, les zones urbaines ont progressé d’environ 250 % au cours des 40 dernières années, tandis que le nombre de terres cultivées irriguées a fait plus que doubler au cours des 40 à 50 dernières années. Les zones les plus menacées de désertification sont : le Sahel, les zones arides d’Afrique orientale et d’Asie centrale, la plaine indo-gangétique et la plaine de Chine du Nord. La désertification est une forme grave de dégradation des sols qui se produit principalement dans les régions arides, semi-arides et subhumides du monde. Ce processus est principalement dû aux activités humaines telles que la déforestation, le surpâturage et les pratiques agricoles non durables qui entraînent une disparition de la végétation et une dégradation des sols. Sans le rôle protecteur des plantes de couverture, le sol est incessamment soumis à l’érosion provoquée par le vent et l’eau, des phénomènes qui emportent la couche arable riche en nutriments, essentielle à la croissance des plantes. Au fur et à mesure de l’érosion de cette couche arable, la productivité du sol s’amenuise, transformant ainsi des surfaces fertiles en zones stériles, en paysages désertiques où les chances de survie de la végétation sont rares, voire nulles. Le changement climatique intensifie le problème en perturbant les structures météorologiques, notamment par la modification de la répartition des précipitations et l’augmentation de la fréquence et de la gravité des sécheresses. Les effets de la désertification sont considérables. Elle conduit à une diminution de la productivité des terres agricoles et limite leur capacité à nourrir les populations et à préserver les moyens de subsistance. Selon certain·e·s scientifiques, la productivité agricole aurait chuté sur environ 23 % des terres agricoles de la planète du fait de la dégradation des sols. Les sols de l’Union européenne (EU) s’assèchent aussi. Treize États membres de l’UE, situés en Europe du Sud mais aussi en Europe centrale et de l’Est, sont concernés par la désertification. Environ 23 % du territoire de l’UE est modérément touché par la désertification, et 8 % y est très exposé. La Hongrie, la Bulgarie, l’Espagne et l’Italie font partie des pays les plus touchés. La dégradation des sols dans l’UE est principalement due à l’agriculture intensive, qui entraîne l’érosion, la salinisation et le compactage des sols. La surexploitation des ressources en eau, l’épuisement des nappes phréatiques et la réduction de la qualité de l’eau due à l’utilisation excessive d’engrais sont autant de facteurs qui participent de à cette désertification. Les risques accrus de vagues de chaleur et de feux de forêt jouent aussi un rôle important. Les données du programme Copernicus, qui vise à observer la surface terrestre de l’UE, révèlent que le nombre d’incendies de forêt répertoriés pendant le premier semestre 2022 est près de quatre fois supérieur à la moyenne enregistrée lors des 15 années précédentes. Le risque de désertification devrait s’aggraver du fait de la hausse de l’intensité et de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes. L’agriculture intensive est l’un des principaux facteurs de désertification. En Espagne, par exemple, une quantité toujours plus importante d’eau, dont une grande partie est extraite des nappes phréatiques, est utilisée pour cultiver des fruits et des légumes destinés au marché européen. Et la filière agricole dépend de plus en plus des nappes phréatiques. Entre 2010 et 2016, la consommation d’eau des nappes phréatiques pour l’irrigation de productions à forte valeur ajoutée, telles que les fraises, les laitues ou les brocolis, a été multipliée par plus de cinq, passant de 4 % à 22 %. Cette surexploitation des ressources en eau, associée au déclin des nappes phréatiques et à la détérioration de la qualité de l’eau due à l’utilisation intensive d’engrais, favorise la désertification.
La culture intensive de baies dans la région de l’Alentejo, au Portugal, a provoqué une destruction et une érosion massives des sols. Pour construire des serres géantes, les multinationales ont nivelé le sol, l’ont drainé et l’ont recouvert de plastique, endommageant ainsi fortement sa structure. Le sol des serres est tellement dégradé qu’il est pratiquement impossible de le restaurer. La pénurie d’eau aggrave la situation, car, en raison de l’expansion de l’anticyclone des Açores, un système de haute pression au-dessus de l’Atlantique Nord, certaines régions du Portugal sont confrontées aux conditions climatiques les plus arides depuis 1 200 ans. Le changement climatique a intensifié cette expansion, provoquant des vagues de chaleur plus fréquentes et des sécheresses prolongées. Les expert·e·s mettent en garde contre le risque de désertification de vastes étendues du pays d’ici la fin du siècle.
Il existe un lien entre la crise climatique et la désertification. La désertification est non seulement accélérée par la crise climatique, mais elle contribue aussi aux émissions de CO₂. En se dégradant, les sols perdent de la matière organique, ce qui entraîne une augmentation des émissions de carbone et une diminution de leur capacité à l’absorber. Selon sa composition, un sol sain peut stocker jusqu’à 3,75 millions de litres d’eau à l’hectare. La désertification réduit toutefois considérablement cette capacité. Selon plusieurs études, pour chaque gramme de matière organique perdu e , la capacité du sol à retenir l’eau diminue de 10 millimètres. Le risque d’inondation augmente donc et les pénuries d’eau s’aggravent. En réponse à la menace croissante de désertification, les Nations Unies se sont fixé un objectif de neutralité en matière de dégradation des terres. Tout comme la compensation des émissions de carbone, cette approche stipule que toute dégradation inévitable des terres doit être compensée ailleurs par la restauration des sols et des services écosystémiques. L’UE ne dispose cependant d’aucune stratégie concrète pour atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres d’ici à 2030. Dans un rapport récent, la Cour des comptes européenne souligne que les progrès réalisés dans ce domaine sont insuffisants. Un accord à l’échelle de l’UE portant sur des méthodes communes d’évaluation de la désertification constituerait une étape importante. Il est nécessaire d’identifier les lieux où la désertification est susceptible de se produire pour lutter contre la dégradation des sols avant que celle-ci ne devienne irréversible.
Cet article, publié à l'origine en anglais sur boell.de, a été traduit en français par Pascal Pierron et édité par Maud Cigalla | Voxeurop